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© C. Févotte

Cédric Févotte est chercheur au CNRS, spécialiste du traitement du signal. Il est lauréat d’un Best Paper Award 2014 décerné par la IEEE Signal Processing Society pour son article "Multichannel Nonnegative Matrix Factorization in Convolutive Mixtures for Audio Source Separation" écrit en collaboration avec Alexey Ozerov (Technicolor). Rencontre avec un pionnier de la séparation de sources sonores.

Le traitement du signal est une discipline qui mêle mathématiques appliquées et physique. Un signal est le support physique d’une information, et son traitement consiste à essayer d’extraire cette information. Les signaux sont partout, il en existe de différents types : radars, audio, cosmiques, sismiques, etc. Il s’agit ainsi d’une vaste thématique touchant de nombreux secteurs.

Après des études d’ingénieur, Cédric Févotte a réalisé sa thèse sur le traitement du signal à l’IRCCyN (Nantes), avec notamment des applications biomédicales. Au cours de son post-doctorat à l’Université de Cambridge, il a commencé à s’intéresser plus particulièrement au traitement des signaux audio. Ce sont les signaux acoustiques qui peuvent être perçus par l’oreille humaine, répartis en trois grandes catégories : la parole, la musique et les sons dit environnementaux. Il a choisi de se pencher plus précisément sur le problème de séparation de sources. Le chercheur explique : « Dans un signal musical, il y a généralement plusieurs sources, correspondant aux différents instruments et à la voix du chanteur, si tant est qu’il y en ait un. Le traitement consiste à séparer les signaux mélangés pour en extraire les différentes sources ».

 

Le traitement du signal, un champ transdisciplinaire

Cette décomposition des signaux peut servir dans l’édition musicale, outil utilisé par les ingénieurs du son pour enlever des sources gênantes dans un enregistrement ou pour faire un remix d’une chanson. Elle peut également servir dans d’autres contextes audio : « Par exemple, en l’utilisant pour des prothèses auditives, il s’agit de séparer le signal émit par le locuteur du bruit environnant. De même pour le téléphone portable, il est possible de débruiter les sons nuisibles tels que les voitures lorsqu’on passe un appel dans la rue pour faciliter la communication », précise-t-il.

Cédric Févotte explique son engouement pour ce domaine d’étude : « Il y a encore beaucoup de travaux et de sujets ouverts dans le traitement du signal. Cette thématique générale a des applications dans de nombreux domaines ». Les premières recherches ont commencé à la fin des années quatre-vingt-dix, mais ce n’est que récemment que les scientifiques ont produit des résultats applicables à des problèmes réels. « Elle a désormais un impact dans le biomédical, en essayant de séparer des contributions de différentes parties corporelles dans des enregistrements de type électrocardiogramme et électromyogramme, on peut faciliter le diagnostic médical. En astronomie, elle trouve une application lorsqu’on observe des signaux qui arrivent de l’espace, elle permet de séparer les contributions de différents objets observés ou d’éliminer les perturbations au moment où elles arrivent sur terre telle que la pollution lumineuse », explique le spécialiste.

Une problématique soulevée pour un usage tangible

La particularité de l’article primé de Févotte & Ozerov est qu’il est l’un des premiers à s’attaquer efficacement au cas où il y a plus de sources que de mélanges, en particulier dans des conditions d’enregistrement modérément réverbérantes. Un mélange est une combinaison de sources, et peut être plus ou moins difficiles à séparer. Cédric Févotte précise : « Dans un enregistrement stéréophonique, il y a deux mélanges qui proviennent du canal droit et du canal gauche. Si on a seulement deux sources à séparer telles qu’une voix et une guitare, on est dans un problème assez bien posé. Le fait qu’il y ait autant de mélanges que de sources permet d’inverser facilement le mélange. Cependant, quand on a plus de sources comme trois instruments pour seulement deux mélanges, on arrive dans des conditions où on va avoir du mal à inverser le mélange, ce qui pose des problèmes mathématiques ». Autre facteur qui participe à la difficulté d’un problème, la question de la réverbération. « Typiquement dans une salle de cours classique, il va y avoir beaucoup d’écho, ce qui va se traduire par de la réverbération sur les signaux enregistrés. Cela va donc perturber le traitement audio. Nous avons alors proposé dans cet article une méthode de traitement capable de fonctionner dans le cadre des cas les plus complexes  ».

L’application concrète de cette méthode a eu lieu lors d’un projet de recherche financé par l’Agence Nationale de Recherche(ANR), en partenariat avec des ingénieurs du son des studios Copra de Paris. « On a appliqué notre méthode de séparation à des enregistrements qu’ils avaient besoin de traiter pour faire du remastering en son 5.1 home cinema. Ils ont pu décomposer l’enregistrement stéréo, séparer les différents sources pour pouvoir les remixer sur différentes enceintes, créant ainsi un enregistrement multicanal adapté », déclare Cédric Févotte. Néanmoins, il insiste sur le fait que son travail n’est pas de créer et de vendre un logiciel destiné aux ingénieurs du son, mais bel bien de contribuer à fournir des outils méthodologiques pour l’édition musicale : « Nous avons déposé un brevet avec l’entreprise Audionamix qui travaillait également sur ce projet. Il est en cours d’évaluation et pourra être ensuite exploité par d’autres entreprises d’édition qui souhaiteraient intégrer cette technologie dans leurs produits  ».

Vers de nouvelles perspectives

Quant à sa nomination au Best Paper Award 2014, le chercheur en est fier mais garde la tête froide : « Bien sûr il s’agit d’un petit prix. Je n’ai pas obtenu un prix Nobel, ni la médaille Fields ! Mais c’est une forme de reconnaissance à laquelle je suis sensible  ». Rappelons que les Best Paper Awards sont décernés par la IEEE Signal Processing Society, une société savante internationale qui édite les principales revues de traitement du signal. Elle donne jusqu’à six prix par an qui couronnent les travaux parus dans les revues durant les cinq années précédemment écoulées. « Cela concerne beaucoup d’articles. Donc le fait de sortir du lot parmi des centaines d’autres papiers, c’est tout de même une belle récompense », souligne Cédric Févotte.

Arrivé au laboratoire Lagrange (OCA-CNRS-UNS) il y a plus de deux ans à la faveur d’une mutation, le chercheur souhaitait élargir ses horizons : « Cela faisait longtemps que je travaillais sur cette thématique de décomposition et de séparation des signaux audio. J’avais un petit peu le sentiment d’être arrivé au bout de quelque chose. Donc je me suis dis que c’était une bonne idée de changer de laboratoire et de m’attaquer à des problèmes d’une autre discipline. » Cédric Févotte plongea alors lentement dans les méandres du cosmos. Actuellement dans l’équipe Signal & Image, il apporte une plus-value et un angle nouveau dans les projets astronomiques de Lagrange. « En astronomie, on s’intéresse beaucoup au problème de débruitage et de reconstruction d’images à partir de données acquises par des télescopes et interféromètres  », affirme-t-il.

Le spécialiste poursuit sur ses travaux actuels : « En ce moment, je m’intéresse avec mes collègues aux traitements de données mesurées par des interféromètres et spectrographes, notamment dans le cadre des projets européens LOFAR et MUSE. Ce sont deux instruments de conceptions complètement différentes mais qui s’occupent de mesurer des données qui proviennent de l’espace pour reconstruire et analyser des images d’objets célestes. Et cela va encore ici poser des problèmes de décomposition des signaux parce qu’il peut y avoir de nombreux facteurs incommodants à la bonne réception des données, tels que les diverses sources lumineuses provenant d’autres objets ou de la Terre. C’est dans cet environnement là que j’essaie d’apporter mes connaissances. ». Pour le futur, on ne peut souhaiter que d’autres belles collaborations et réussites à Cédric Févotte.